Un projet européen, c’est comme une voiture : si vous n’avez pas de trésorerie (= de carburant), vous n’irez pas bien loin ! Voici les trucs à connaître pour bien anticiper cette problématique.
Au moment de concevoir votre projet européen, prenez le temps de réfléchir au cycle de votre trésorerie, en partant du moment où vous commencez à dépenser le premier euro, jusqu’au moment où vous touchez le solde de votre subvention communautaire, pour identifier les décalages entre sorties et rentrées. En effet, ces décalages peuvent être très longs !
Monter un projet européen : dépenser sans rien toucher…
Dès la phase de préparation du projet, vous dépensez de l’argent, sans avoir touché un centime – et même sans être sûr d’en toucher un jour ! En effet, vous avez des dépenses de réunions avec les instructeurs, entre partenaires, avec vos cofinanceurs (pour leur présenter le projet), peut-être des frais de déplacement (plus ou moins important selon l’endroit où se tiennent ces réunions), des dépenses de traduction ou d’interprétation le cas échéant, des dépenses de formation ou d’accompagnement par un consultant, …
Sans compter, bien sûr, le temps-homme que vous, vos collègues, vos partenaires, consacrez à définir le projet, son contenu, etc.
Certains programmes prévoient un forfait de subvention européenne pour couvrir ces dépenses de montage de projet – mais il n’est versé qu’aux projets qui sont acceptés ! Et bien sûr seulement après la signature de la convention de financement du projet… c’est-à-dire potentiellement plusieurs mois après le début de vos travaux de préparation ! En outre, la somme est généralement limitée (par ex. 20.000 euros pour le programme INTERREG Rhin Supérieur) et couvre tous les partenaires. Cette somme peut être vite atteinte si vous valorisez le temps-homme !
Pensez d’ailleurs à faire du suivi de votre temps dès la phase de préparation du projet, si vous voulez pouvoir récupérer une partie de ce forfait de montage de projet, afin de pouvoir justifier le montant demandé auprès de vos partenaires.
Pensez aussi à discuter de ce sujet avec vos partenaires pour être clairs : la somme sera versée au chef de file (lead partner), peut-il tout garder ? (sur l’argument qu’il a tout organisé et qu’il a pris la responsabilité du projet ?) Sinon, quels doivent être les critères de répartition entre partenaires ? Je sais que vous avez beaucoup d’autres sujets à discuter, et que la somme est faible, mais ce serait dommage de commencer le projet en créant des rancœurs ou des incompréhensions à cause de ça…
Gérer la trésorerie pendant les premiers mois du projet
Une fois que votre projet a été accepté, ce n’est pas pour autant que vous allez retrouver une trésorerie positive ! En effet, si quelques programmes européens versent des acomptes au démarrage du projet (par ex. ERASMUS+), d’autres – notamment les programmes INTERREG – vous remboursent seulement sur la base de vos dépenses acquittées. Cela signifie que vous allez dépenser de l’argent pendant plusieurs mois avant de toucher la subvention européenne. Avez-vous suffisamment de trésorerie pour cela ? Car pas de dépenses = pas de fonds UE ! Si vous n’avez pas de quoi faire les premières dépenses, vous vous retrouvez coincé : pas de fonds UE = pas de dépenses !
Une solution est de prévoir le versement d’une partie importante des cofinancements « nationaux » dès le démarrage du projet, dès la signature de la convention. Pensez à évoquer ce point avec vos cofinanceurs en amont. L’idéal est d’avoir un versement de 50% au démarrage du projet, pour avoir un peu de temps devant vous.
Cela nécessite, bien sûr, que la convention de partenariat soit signée rapidement. Or, cette convention est pluri-partite, et n’entre en vigueur qu’après la dernière signature. Si vous avez, par exemple, une collectivité locale française dans vos cofinanceurs, il peut arriver que la convention doive passer en délibération d’abord. Selon les collectivités, les délais sont plus ou moins longs… Comptez au moins 2 à 3 mois, entre le moment où le service technique de votre cofinanceur rédige son rapport et le passage en commission délibérante.
Vous pouvez anticiper ce temps en discutant les détails de la convention de partenariat en parallèle de l’examen du projet par les instances du programme. Il y a en effet souvent un moment où vous devez juste attendre… Profitez de ce moment pour préparer cette convention – et insistez auprès de vos partenaires pour qu’ils fassent un maximum de travail préparatoire en amont (par exemple présenter le projet de convention au service juridique, rédiger le projet de rapport, …). Ainsi lorsque le projet est accepté, ils peuvent immédiatement lancer la procédure de délibération / mise en signature.
Les cofinancements nationaux vont vous permettre de réaliser les dépenses de démarrage du projet. Car la première demande de versement des fonds communautaires n’intervient, au mieux, qu’au bout de 3 mois dans certains programmes, au bout de 6 mois dans d’autres. Et il faut prévoir un temps de traitement de cette demande, forcément plus long pour la première demande que pour les suivantes : il y aura nécessairement des dépenses pour lesquelles vous devrez rechercher des pièces justificatives complémentaires, pour lesquelles vous n‘avez pas compris le mode de calcul du forfait et que vous devez refaire, etc.
Une fois que le projet est bien parti, que vous avez touché les premiers cofinancements nationaux et communautaires, la trésorerie est plus simple à gérer : vous connaissez les dates de dépôt de vos demandes de versement des fonds européens, et vous savez que vous toucherez la somme dans les semaines qui suivent – si tout va bien. Si vous êtes le Chef de file, pensez bien à reverser les sommes dues à vos partenaires très rapidement et dans leur intégralité – c’est une obligation réglementaire (article 13-3 du règlement CTE n°1299/2013). Eh oui, vous ne pouvez pas placer la somme quelques semaines pour vous créer un peu d’intérêts, sorry !
Un jour, espérer toucher le solde de la subvention européenne
Dernier moment délicat : la clôture du projet. En effet, les vérifications opérées sont plus longues, le versement du solde des fonds communautaires peut prendre un peu de temps. En outre, même après 25 ans de mise en œuvre des programmes INTERREG, on se retrouve toujours régulièrement avec la même problématique : qui paye en dernier ? En principe, le montant définitif de la subvention communautaire est calculé en tenant compte des cofinancements effectivement perçus (pour éviter le surfinancement) – ce qui sous-entend qu’il faut que les cofinanceurs payent d’abord le solde de leur subvention nationale pour que les programmes européens puissent calculer le leur. Mais cela aussi mérite d’être expliqué à vos cofinanceurs, voire même explicité dans la convention de cofinancement. Sinon vous vous retrouvez avec des projets dont la clôture dure 2 ans (c’est du vécu…) juste parce que tout le monde réclame un arrêté des comptes par les autres ! Et en attendant, les bénéficiaires ont fait leurs dépenses mais n’ont pas touché les soldes des subventions…
Cette question de la trésorerie peut être particulièrement problématique pour les petites structures aux reins financiers moins solides que des plus grandes pour lesquelles les fonds européens sont moins importants d’un point de vue financier. Aussi, pensez bien à anticiper tous ces moments difficiles. Pour mémoire, les intérêts débiteurs ne sont pas éligibles…
Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, l’anticipation est l’une des solutions. N’hésitez pas à vous former sur les bonnes pratiques de gestion d’un projet européen avant de monter votre projet, pour partir sur de bonnes bases.